Sélection du Prix Summer : l’embarras du choix

La sélection du Prix Summer nous lance chaque année un défi à la fois passionnant et irrationnel : sélectionner cinq ouvrages dans une rentrée littéraire qui en compte plusieurs centaines. Après des mois de lecture, l’équipe a comme toujours beaucoup hésité avant d’arriver à ces livres-là, qui font selon nous partie des plus passionnants de l’automne.

par Yann Nicol.

Cinq auteurs, cinq romans de natures différentes qui ont en commun de porter un regard singulier sur le monde et de décliner un univers romanesque particulièrement inventif. Du grand récit écologique de Wilfried N’Sondé au thriller psychologique de Marie Vingtras, en passant par la non fiction de Mathieu Palain, la comédie humaine contemporaine d’Abel Quentin et le grand roman amoureux – et générationnel – de Maria Pourchet, ce sont tous les registres de l’écriture romanesque qui sont à l’oeuvre dans des livres qui symbolisent chacun à leur façon l’idée qu’on se fait de la littérature.

Ainsi le premier roman de cette sélection, Blizzard, de Marie Vingtras, nous mène aux confins de l’Alaska pour un huis clos à ciel ouvert qui nous attrappe dès les premières lignes et nous laisse deux cents pages plus loins les doigts givrés, le cœur retourné et la tête à l’envers. A partir de la disparition d’un gamin, dans la tempête et le brouillard de ce bout du monde, l’auteure nous livre une galerie de portraits kaléidoscopique de personnages mystérieux, complexes, ambigus, qui révèlent leur vrai nature par le prisme de monologues intérieurs d’une grande force psychologique. Entre les héros et les salauds, la frontière est mince, comme celle qui distingue une fin heureuse d’un drame horrible. Vers où penchera ce Blizzard addictif ? On ne vous le dira pas, mais on est sûr que vous aurez envie de le savoir…

Marie Vingtras
, Blizzard (Éditions de l’Olivier)

De tempête il est aussi question dans le nouveau roman de Wilfried N’Sondé, dont nous suivons le travail depuis la parution en 2007 de Le Coeur des enfants léopards. Femme du ciel et des tempêtes nous plonge ici en Sibérie, ou un chaman de la tribu des nenets découvre, suite à la fonte du permafrost, la dépouille d’une reine africaine datant de 10000 ans. Les ancêtres de ces autochtones auraitent-ils eu la peau noire ? De cette question découle un suspense aux multiples facettes, entre vérité scientifique et climato-cynisme, mensonge romantique et vérité romanesque, récit d’aventures et enquête spirituelle. Il y a dans ce livre du rythme, de l’humour, de l’érudition, une histoire d’amour aussi, et un autoportrait en creux de l’auteur à travers les différents personnages, en particulier ce personnage de chaman. Car tout écrivain n’est-il pas quelque part une version moderne du sorcier d’antan ?
 
Wilfried N’Sondé
, Femme du ciel et des tempêtes (Actes Sud)

De la tempête à l’incendie il n’y a qu’un pas qui nous mène au roman flamboyant de Maria Pourchet sur la relation passionnelle qui unit les deux personnages principaux de Feu. Laure et Clément, deux personnages que tout oppose, vont se croiser, s’embraser, se déchirer, dans une relation adultérine qui va avoir des conséquences sur l’ensemble de leur vie professionnelle, familiale, amicale… Si le livre décrit avec minutie les rouages de cette passion destructrice, il aborde aussi avec un regard très acéré et une langue à la fois minimaliste et percutante les grands enjeux du temps présent – le capitalisme sauvage, l’injonction au bonheur, le culte de la performance – et le gouffre qui sépare les générations, à l’image des querelles entre Laure et sa fille Véra, qui dit beaucoup des rapports différents à l’écologie, au féminisme, à l’engagement et à l’activisme.

Maria Pourchet
, Feu (Éditions Fayard)

C’est à une tempête sous un crâne que nous assistons dans Le Voyant d’Etampes, le deuxième roman d’Abel Quentin, avec le personnage de Jean Roscoff, universitaire à la retraite dont le livre sur un poète noir américain, Robert Willow, va provoquer une déflagration dans sa vie d’intellectuel de gauche. Ayant fait ses classes au moment de l’arrivée au pouvoir de Mitterand, du mouvement SOS Racisme et de la « Marche pour l’égalité », il se voit accusé d’appropriation culturelle alors même qu’il n’a jamais entendu parler de ce terme. Roman ultracontemporain sur ces nouvelles formes de lutte, le livre montre encore une fois les ruptures générationnelles, la puissance des réseaux sociaux, mais aussi la réflexion intime d’un homme ne sachant pas si c’est la gauche qui a changé, ou lui-même…


Abel Quentin
, Le Voyant d’Etampes (Les Éditions de l’Observatoire)

Dernier avis de tempête littéraire avec le deuxième livre de Mathieu Palain, journaliste pour XXI et auteur d’un premier roman remarquable, Sale gosse, qui récidive avec Ne t’arrête pas de courir, autour du destin de Toumany Coulibaly, jeune homme qui présente la particularité d’être à la fois un athlète de haut niveau – champion de France du 400 m – et un voleur récidiviste. A travers le dialogue entre l’auteur et son « personnage principal », c’est une profonde réflexion sur l’ambivalence de chacun d’entre nous qui est à l’oeuvre, autant qu’une interrogation sur le destin, les deux hommes étant nés la même année dans la même banlieue parisienne. Un livre qui s’inscrit avec force dans la tradition du réçit-enquête qu’un écrivain comme Emmanuel Carrère avait porté haut avec L’Adversaire, sur la figure de Jean-Claude Romand.

Mathieu Palain
, Ne t’arrête pas de courir (Éditions L’iconoclaste)

Et pour aller plus loin sur le Prix Summer, rendez-vous ici.

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