Le portrait augmenté, avec Susie Morgenstern

Quand le lecteur ouvre le nouveau roman de Susie Morgenstern, les premiers mots qu’il lit sont : « Pour la France, merci ! ». Si la romancière saupoudre depuis longtemps ses romans de touches autobiographiques, « Galère ! », le dernier, en est malicieusement pétri. Le personnage principal du livre, Alex, quitte brusquement les États-Unis et se retrouve parachuté à Paris… Rencontre avec cette écrivaine pétillante, en visio, depuis Nice.

par Raphaële Botte

Histoire d’un début…
« Mon éditeur Thierry Magnier m’a téléphoné un jour, et m’a dit : “Un Américain qui vient à Paris”. C’était tout ! Mais c’était vraiment dans mes cordes. Je lui ai dit que j’allais réfléchir et j’ai tout de suite commencé à écrire… Je n’ai jamais été aussi exaltée en écrivant un livre. C’est vraiment mon expérience et ma gratitude vis à vis de la France, mais aussi ma vengeance vis à vis de l’école dans ce pays ! »

L’excitation d’écrire
«Ce livre est assez différent des autres, pour moi. Je m’amuse toujours beaucoup en écrivant. Là, j’ai aussi été très émue par moi-même. On ne sait jamais quand on écrit, si c’est bien ou pas. Je ne suis pas le genre d’écrivain tourmenté qui m’arrache les cheveux… J’écris, j’écris, j’écris… Là, il y avait autre chose. J’étais consciente que c’était peut-être bien pour une fois (ndlr : Susie Morgenstern fait mine de s’embrasser les bras et lève les yeux au ciel en riant !). J’ai commencé ce premier chapitre avec la mort du père. Je n’avais aucune idée de là où j’allais. Je ne savais pas du tout qu’il y aurait des jumeaux par exemple (ndlr : le père d’Alex a un frère jumeau en France dont Alex ignorait l’existence). C’est toujours comme ça pour moi. Le seul livre où je savais où j’allais en l’écrivant a été Écrire, c’est respirer (éd. Le Robert, 2022). L’éditeur m’avait donné une trame. Le rêve de ma vie ! Je n’avais pas besoin de réfléchir, c’était comme une longue interview. Cela facilite tout mais je suis incapable de le faire car, cela enlève tout le suspense. Pour moi, c’est ça l’excitation d’écrire. Je m’installe là, tous les jours à mon bureau, dans la cuisine, sans savoir ce que je vais écrire aujourd’hui. Tous les jours, c’est ma surprise. Certains écrivains savent ce qu’ils ont fait, ce qu’ils vont faire. Moi, rien du tout ! C’est comme dans une transe. J’aime le premier jet, c’est l’extase, l’euphorie. Je n’aime pas reprendre un texte même si je le fais, bien sûr.»

Les personnages et moi
« Cet Alex de 15 ans est trop intello, trop intéressant. C’est une faiblesse pour un personnage : il peut être ennuyeux. Il y a quelque chose de moi en lui : la force de surmonter pour arriver à une appréciation de la vie quoiqu’il en soit. Si je repense au personnage de l’oncle, je me souviens qu’il m’était compliqué de l’appréhender. Il m’est difficile de construire un personnage froid, ou un personnage méchant. Élisabeth (ndlr : la tante du père et de l’oncle d’Alex, la sœur de leur mère), c’est la grand-mère que je suis. Elle vit à Nice, comme moi. Avec le personnage de Gillian, qui est la prof de français d’Alex, ce roman rend aussi un hommage à Gill Rosner (ndlr : avec qui Susie Morgenstern a écrit Alibi, Europe Alibi, Paris Alibi…). Elle était vraiment mon amie de cœur, nous avons enseigné ensemble. Nous avons écrit en rigolant et en mangeant des gâteaux que sa mère lui envoyait de Londres. » 

Les lettres
« La place des lettres dans ce roman et dans d’autres – je pense par exemple à Lettres d’amour de 0 à 10 ans (L’École des loisirs, 1996) – est très autobiographique. Quand mon mari est mort, ma mère m’a transmis un carton de toutes les lettres que je lui ai envoyées pendant 30 ans. Elle m’offrait mon mariage, tout ce que je lui avais raconté pendant des années. Elle m’offrait Jacques de nouveau… En écrivant Galère !, je ne savais pas que mon personnage Alex allait trouver des lettres en montant dans le grenier. Je vis mon écriture exactement comme quelqu’un qui lit. »

Mon petit bordel
« La maison ultra rangée de Louis-Pierre, l’oncle d’Alex, est l’antithèse de tout ce que je connais ! Je suis bordélique. J’aime bien rappeler qu’Einstein a dit qu’un bureau rangé est signe de cerveau dérangé. Je commence un livre, je vais du début à la fin mais parfois j’arrête deux semaines parce que je n’ai plus d’idée. Je me tourne et me retourne le soir dans mes livres, pour essayer de me recharger et avoir trois pages à écrire le lendemain. Mon slogan dans la vie, c’est “just do it”. Je me lève et j’écris sans état d’âme. C’est un tel élan que je ne peux pas m’arrêter. Chaque matin, je commence avec mes deux poèmes avec l’écrivain Bernard Friot. Aujourd’hui (ndlr : le 15 juin), c’était autour du mot “mélancolie” et, demain, ce sera le mot “pouvoir”. Ensuite, j’écris mon journal intime et après je me mets à travailler. »

Mon habitude
« Depuis quelques années, je tape directement mes textes (mes lettres, mes poèmes, mes romans…) sur mon ordinateur alors que mes anciens manuscrits sont tous dans des cahiers. Dorénavant, tout est dans mon ordinateur. Pourtant, longtemps, j’ai pensé que l’écriture passait par le plaisir sensuel de pousser un crayon sur le papier. Aujourd’hui, j’aime beaucoup le contact avec le clavier ! C’est le propre de l’homme, on change. »

Galère !
« “Galère” est un de mes mots préférés. Il est intraduisible en anglais. C’est le mot que je dis le plus. Ça aide de gémir, de se plaindre et de le dire tout haut. C’est comme “aïe, aïe, aïe” ! Ce sont des mots utiles. Tu es sur le quai de la gare, le train est en retard : “galère”. C’est une acceptation en quelque sorte. »


« Ce livre de Caroline Eliacheff a déclenché chez moi l’envie de lire toute l’œuvre de la comtesse de Ségur. Il ne m’en reste plus que trois ou quatre et ce sera fait. J’adore ! Je ne m’étais jamais plongée dans ces histoires car on ne la lit pas en Amérique. Je me régale, elle est fabuleuse. C’est la vraie pionnière. Souvent, mes lectures me donnent plutôt des complexes ! Mais une partie de mon travail est de les chasser et de me dire que je suis capable aussi. »
Ma vie avec la comtesse de Ségur
de C. Eliacheff, (Gallimard, 2021) ©Gallimard

« Dans mon bureau, avec mon petit-fils Sacha. Nous venons d’écrire un texte ensemble. L’an passé, j’ai publié Les Vertuoses (L’école des loisirs) avec ma petite-fille Emma. Et sinon, que vous dire ? Mon bureau est bordélique mais je m’y installe chaque matin avec joie ! » ©DR

« C’est toujours compliqué de choisir une couverture. C’est le travail de l’éditeur. Je ne les aime pas toujours mais celle-ci me plaît. Que regarde Alex sur cette couverture ? Il se dit que cette tour Eiffel lui fait une belle jambe et il rêve de son Amérique ! Il est expatrié sur le toit, seul. »


Propos recueillis par Raphaële Botte

 

© Danièle Miischlich

L’auteure / Susie Morgenstern
Elle publie depuis plus de quarante ans des livres pour la jeunesse. Albums, romans junior ou ado, mais aussi quelques textes pour les adultes… sa bibliographie compte désormais plus de 150 titres. Née à Newark, aux États-Unis, installée en France depuis 55 ans, elle insuffle son « enthousiasme américain » et une réelle et inépuisable capacité d’émerveillement dans tous ses écrits. Dans la vie aussi !

Le livre / Galère !, Susie Morgenstern, éd. Thierry Magnier, 256 p., 16,20€
Dès 12 ans

Bibliographie sélective :
– Ses très nombreux “classiques” :
La Sixième (L’école des loisirs, 1984), La Première fois que j’ai eu 16 ans (L’école des loisirs, 1990), Lettres d’amour de 0 à 10 ans (L’école des loisirs, 1996), Joker (L’école des loisirs, 1999)…
– Parmi ses dernières publications :
Nonna Gnocchi (Thierry Magnier, 2021)
Les Vertuoses, (L’École des loisirs, 2022)
– Des récits autobiographiques (adultes) :
Mes 18 exils (L’iconoclaste, 2021)
Je suis un génie (L’iconoclaste, 2022)
– Sur l’écriture :
Écrire, c’est respirer (Le Robert, 2022)

Retrouvez tous les livres de l’auteure Chez mon libraire. 

 

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