Le portrait augmenté, avec Ronan Badel

Le trait est vif et subtil à la fois. Albums, bandes dessinées, romans illustrés… Depuis plus d’une vingtaine d’années, Ronan Badel signe textes et illustrations de nombreux récits. En ce début d’année, on le retrouve avec « Les Aventures de moi-même – Journal de ma manif », troisième opus dont Gaspard est le héros. Les histoires de ce petit gars sont racontées sous la forme d’un journal et sous la plume de Charly Delwart. Rencontre avec celui qui a offert une apparence à ce gamin aussi préoccupé que drôle.

par Raphaële Botte.

Jouer le jeu.
« Je n’aime pas trop que les auteurs me demandent quoi que ce soit ! Je préfère qu’ils me laissent faire mon travail et échanger ensuite. Là, c’est pourtant différent : Charly Delwart – que je ne connaissais pas avant que l’éditeur nous mette en relation – écrit le texte du roman et indique en commentaires ce qu’il veut voir dans les illustrations et où. En général, pour moi, cette façon de travailler est rédhibitoire. J’ai toujours considéré que l’illustration venait réécrire le texte, et non décorer les intentions de l’auteur. Je suis très vigilant sur ce point et par conséquent, au début de ce projet, j’étais un peu refroidi. Mais, j’ai décidé de jouer le jeu cette fois-ci, de suivre les envies du romancier d’abord parce que ses intentions ne sont pas mauvaises du tout et en plus, parce qu’ensuite, je suis complètement libre. Charly n’intervient pas du tout dans la façon de dessiner les personnages, les décors… »

Une cinquantaine de petites tronches.
« Au commencement d’un tel projet, je me prends toujours une journée pour dessiner des bouilles, pour chercher le héros, en l’occurrence ici, Gaspard. Cette phase de recherche est très agréable pour moi. J’ai fait une cinquantaine de petites tronches à la plume et au pinceau chinois jusqu’à ce qu’il y en ait une qui fasse tilt, une qui me tape dans l’œil. J’aimais bien sa tête d’oisillon sorti du nid, son nez aquilin, ses deux trois mèches sur le dessus, ses oreilles un peu décollées… Je trouve son visage très graphique. Si je me dessine souvent dans les livres – le nez en trompette, la coiffure au bol de mon enfance, et les yeux en amande – là, pour Gaspard, ce n’est pas le cas. Comme je ne l’ai pas inventé, je n’ai pas voulu me représenter et même faire l’inverse. Je suis tombé sur ce visage un peu dandy, un peu intello, avec un regard et un visage d’adulte sur un corps d’enfant. ll est plutôt maigre parce que le faire tout en rondeur aurait enlevé un peu de son angoisse. Ce côté “fil de fer” traduit son questionnement permanent sur la vie et pour moi, son apparence colle à cet univers d’un jeune garçon qui fait beaucoup de listes. Mais, c’est totalement subjectif ! »

Illustrateur scénographe.
« Gaspard est un cérébral et Charly Delwart voulait que cela se voit. Il me donne des indications telles que  “Peut-on avoir trois tête de Gaspard : l’une où il se pose des questions, l’une où il a trouvé la réponse, et l’une où il est dans le doute…” Cette direction m’a poussé à travailler les expressions. Mais cela fait complètement partie de ma manière de m’approcher d’un personnage. Je vois mon travail comme celui d’un scénographe : à moi de mettre du mouvement, de trouver un accessoire, un vêtement… Ma démarche a quelque chose de théâtral. Le texte m’indique qu’il se pose des questions et pour moi, en dessin, cela va passer par une attitude, par la façon dont on le met dans une pièce, dont il s’assoit, comment il pose ses coudes… Par exemple, s’il est sûr de lui, il n’aura pas du tout la même posture que s’il doutait. Le corps parle et c’est en ce sens que j’aime bien cette expression d’illustrateur scénographe. »

Ponctuer les phrases.
« J’ai illustré un grand nombre de romans pour jeunes lecteurs. Je pense notamment à toute une série dans la collection Pépix de Sarbacane (L’ignoble libraire, L’écrivain abominable… d’Anne-Gaëlle Balpe). C’est un autre exercice que l’album avec un dessin en noir et blanc, en petit format qui vient de temps en temps aider le lecteur à se faire une idée des ambiances et à ponctuer les phrases afin de rendre le texte plus digeste pour ces nouveaux lecteurs de romans. C’est une énergie de travail que j’apprécie, je peux refaire quatre, cinq fois un petit dessin à la plume pour être au plus juste. Par ailleurs, j’envoie toujours davantage de dessins que nécessaire et nous trions, l’éditeur, l’auteur et moi. »

Raconter une histoire.
« Lors des rencontres dans les classes, les enfants me demandent souvent si je préfère écrire ou dessiner. Je leur réponds que pour moi c’est exactement la même chose avec un outil différent. Mon illustration est aussi une phrase avec un sujet, un verbe… C’est aussi pour cela que pour moi, un illustrateur n’est pas un décorateur. Avec mon image, je vais raconter une histoire, c’est ma priorité. Bien sûr, c’est mieux si esthétiquement elle me plaît mais ce n’est pas mon objectif principal : ma première intention est de raconter une histoire si possible entre les lignes de l’auteur quand le texte n’est pas de moi. »

Une illustration de l’intime.
« Je garde tout, je suis envahi et je ne sais plus quoi faire de tous ces papiers, de tous ces brouillons ! J’ai des montagnes de blocs avec des visages que je consulte parfois. Ce sont des carnets de quotidien et j’en prends toujours un avec moi. Cela correspond à ma manière d’appréhender l’illustration par l’intime plus que par le message universel. En aucun cas, j’ai envie de faire des choses pédagogiques, j’aime l’idée de témoigner de ce que j’ai vécu petit. J’aborde ainsi tous mes livres et, par exemple, je ne pourrais pas écrire sur la guerre alors que j’ai vraiment tué un oiseau avec un lance pierre quand j’étais petit (ndlr : que l’on retrouve dans Le jour le plus long publié chez Sarbacane en 2023) ! Dans la même veine, les copains de Gaspard ont les attitudes d’amis d’école que j’ai eus, idem pour les scènes scolaires… Ce sont des moments que j’ai emmagasinés et que je continue de convoquer. J’entretiens et je préserve mes souvenirs d’enfance. Quand j’ai du mal à m’endormir, j’essaye de retrouver tous les noms de famille de professeurs. Et j’y arrive ! Mes souvenirs sont le terreau de mon travail. Si je perds la mémoire, je ne sais plus quoi dessiner. »

En images

« Une fois le visage déterminé, je dessine mon personnage de profil, dans différents sens… Ce dessin a été le révélateur, celui avec lequel j’ai vraiment trouvé Gaspard ! Il se trouve dans le premier tome (Journal d’une fugue), allongé sur son divan comme s’il était chez un psy. C’est dur de définir pourquoi un dessin fonctionne… » ©Les Aventures de moi-même, journal de ma manif, 2024, Flammarion jeunesse.

 

« J’avais en tête un terrain vague de ville, de chantier, pas si vert, alors que Charly Delwart avait imaginé un terrain vert de campagne. J’ai réalisé un mélange avec quelques graffs, de la tôle ondulée, un pneu mais aussi de la verdure, des fleurs, des arbres… » ©Les Aventures de moi-même, journal de ma manif, 2024, Flammarion jeunesse.

 

« Je garde mes carnets de recherche dans mon atelier (ndlr : pendant l’entretien Ronan Badel, se lève et les cherche !). Mon illustration est très liée à l’intime. Le noir et blanc a été décidé dès le début. Le format et l’économie de ce genre d’ouvrage l’imposent. Quand je travaille à la plume, je me sers d’une craie pour apporter parfois un peu de matière. À partir du moment où l’on utilise la plume avec des personnages dans de grands espaces, on pense à Sempé, à Quentin Blake… »

 

« La couverture est l’image la plus importante. Dès le début, nous avons choisi d’avoir Gaspard en blanc, pour qu’il ressorte bien. Pour ce troisième tome, j’avais proposé du rouge dans l’idée de la lutte, de la manifestation mais finalement nous avons pris la direction du vert, plus écologique.» ©Les Aventures de moi-même, journal de ma manif, 2024, Flammarion jeunesse.

 

Un entretien réalisé par Raphaële Botte.

 

Le livre / Les Aventures de moi-même, journal de ma manif (tome 3),
de Charly Delwart et illustré par Ronan Badel, Flammarion Jeunesse,
144 pages, 12,50 €. À partir de 8 ans.

 

Ronan Badel ©DR

L’illustrateur / Ronan Badel
Ronan Badel est né le 17 janvier 1972 à Auray en Bretagne. Diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg, il s’oriente vers l’édition jeunesse comme auteur et illustrateur. Il publie son premier ouvrage aux éditions du Seuil jeunesse en 1998. Après plusieurs années à Paris où il enseigne l’illustration dans une école d’art, il s’installe en Bretagne pour se consacrer à la création d’albums jeunesse. Il publie des albums dont il signe texte et illustration mais collabore aussi régulièrement avec d’autres auteurs dont Vincent Cuvellier et Gilles Bizouerne.

Bibliographie sélective /
Une série documentaire : Français d’ailleurs, éditée chez autrement jeunesse et rééditée par Casterman, avec Valentine Goby.
Une série de bande dessinée : Petit-sapiens, éd. Lito
Un album sans texte : L’ami paresseux, éd. autrement jeunesse
Une série d’albums : Émile avec Vincent Cuvellier (édité chez Gallimard jeunesse, Giboulée)
Une série d’albums : Loup gris avec Gilles Bizouerne (Didier jeunesse)
Un album : Le jour le plus long, Sarbacane
Un roman illustré : Les Vitalabri, texte de Jean-Claude Grumberg, Actes Sud jeunesse.

Retrouvez tous les livres de l’auteur Chez mon libraire. 

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