Prix Summer des Collégiens : rencontre avec Kamel Benaouda

Kamel Benaouda ©Jeremie Coris
LX18, c’est le titre du nouveau roman de Kamel Benaouda mais c’est aussi le matricule du soldat génétiquement modifié et dépourvu de sentiments dont on suit le parcours, un jeune homme de 16 ans qui n’a connu que la guerre et se retrouve contraint d’intégrer le monde civil. Un roman à l’action et aux rebondissements à couper le souffle qui questionne profondément sur l’humanité. Rencontre avec son auteur.

Par Laetitia Voreppe

Avec LX18 vous explorez le genre de la dystopie. Vous avez choisi de placer l’intrigue dans une société imaginaire dans laquelle une partie de la population est contrôlée par la génétique, mais qui reste extrêmement réaliste. Que vouliez-vous mettre en place dans ce deuxième roman ?
Au moment de l’écriture du livre, je ne le voyais pas comme une dystopie. Dans la dystopie il y a toujours une organisation particulière de la société, différentes castes et surtout beaucoup de descriptions dans lesquelles, à mon sens, on peut se perdre. Ce qui m’intéressait au départ, c’était d’abord de mettre en scène un personnage sans émotion. Et c’est quand il a fallu expliquer pourquoi il n’avait pas d’émotion que j’ai mis en place l’histoire des Altérés, ces soldats génétiquement modifiés. Comme dans mon premier roman Norman, je voulais exprimer l’idée qu’il y a beaucoup de choses qui se passent autour de nous et en nous, dont on ne se rend pas forcément compte, par habitude. Ce qui m’intéresse c’est le réel, ça n’est pas tant l’imaginaire. J’ai juste besoin d’une petite dose d’imaginaire pour montrer la réalité sous un regard différent. La littérature est pour moi comme une paire de lunettes qui va permettre ce pas de côté.

Quand Hélix se retrouve contraint d’intégrer le lycée avec d’autres adolescents de son âge, lui qui n’a connu que la guerre et les entrainements, son intégration est laborieuse notamment parce qu’il se retrouve démuni face à la psychologie humaine. Qu’est-ce qui vous intéressait en mettant en place cette situation ?
Dans un monde normal, dans une histoire classique, l’aventure serait de prendre les armes pour partir en guerre. Dans LX18, le truc extraordinaire, c’est d’aller au lycée, de rencontrer d’autres ados et de vivre tout ce qu’on vit à cet âge-là. J’aime bien cette idée, et j’en reviens au décalage que j’évoquais plus haut, c’est rappeler que la vie de tous les jours est une aventure. Les rencontres, les interactions sociales sont autant d’histoires à vivre. Et ça m’intéresse de venir confronter des personnages à fleur de peau, parce qu’ils ne peuvent pas aller à une soirée ou n’ont pas la bonne fringue, avec quelqu’un qui, au contraire, ne ressent aucune émotion. D’ailleurs, cette pathologie existe, c’est l’alexithymie, c’est l’incapacité à identifier ses propres émotions. Les personnes qui en souffrent utilisent comme Hélix des guides des émotions pour essayer de rendre leur quotidien plus facile.
Contre toute attente, Hélix finit par comprendre que les émotions sont comme un tableau de bord, qu’elles ont toutes une fonction, qu’elles soient positives ou non. Il observe, analyse, et s’étonne même des réactions de jalousie et de rancune chez les civils, là où lui voit du positif.


Hélix va progressivement changer de comportement et s’ouvrir au monde au contact de la littérature, mais aussi avec cette pièce de théâtre qu’il doit interpréter avec sa nouvelle amie Philomène. Selon vous, quel rôle la littérature peut avoir dans la construction de soi ?
J’ai lu il y a quelques années un article qui disait que le fait de lire développait l’empathie et permettait une meilleure compréhension dans les interactions sociales. Pour moi, les livres et les films ont été fondateurs, ils ont formé ma vision du monde. C’était essentiel car je suis issu d’un milieu modeste et les choses à faire à la maison étaient limitées. J’ai découvert les livres dans la bibliothèque de mon quartier. J’ai commencé par des livres très courts car j’étais un peu livré à moi-même. Quand j’écris c’est d’ailleurs quelque chose qui me guide toujours, dans le travail du style, de chercher à accrocher ceux qui n’aiment pas beaucoup lire.
Les références littéraires que je propose dans l’histoire et dans le glossaire à la fin du livre sont assez classiques mais elles ont toutes eu leur importance à un moment de ma vie, elles n’ont pas été choisies au hasard. Les mettre dans le livre, c’est pour moi une sorte de passage de relais vers ces lecteurs.

Dans le roman, vous dépeignez une société autoritaire et haineuse envers les soldats génétiquement modifiés, et en même temps vous mettez en exergue cette phrase du film Le dictateur de Charlie Chaplin, pour quelle raison ?
« Nous pensons trop et ne ressentons pas assez.
Plus que de machines, nous manquons d’humanité.
Plus que d’intelligence, nous manquons de douceur et de gentillesse.
Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence, et alors tout est perdu. »
Ça fait partie des choses qu’on collecte dans un coin de sa tête en se disant que ça servira un jour. J’avais vu le film quand j’étais ado, et ça avait été une claque. C’est un extrait du discours final du dictateur incarné par Charlie Chaplin. Dans cette scène il s’adresse à ses soldats et leur dit : vous suivez les ordres, vous êtes des animaux dénaturés, maintenant reprenez le pouvoir, reprenez le contrôle de vos émotions, prenez conscience que vous êtes vivant… Un discours hyper humaniste ! C’est justement pour moi une manière de dire qu’on a tout ce qu’il faut en nous, qu’il faut juste savoir l’utiliser autrement pour de belles choses, qu’il suffit d’être à l’écoute, de prendre le temps et de s’ouvrir aux autres.

Kamel Benaouda, LX18 (Gallimard)
À retrouver Chez mon libraire.

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