Prix Summer des Collégiens : rencontre avec Laurine Roux

Laurine Roux © Nathalie Sartori
C’est un destin tragique que fuit l’héroïne du roman de Laurine Roux, « Le souffle du puma ». Inspiré d’un fait réel, il imagine la révolte de la jeune Poma qui refuse son sort d’élue promise aux dieux dans l’Empire inca et qui va s’insurger avec courage pendant la marche bouleversante vers le volcan où elle doit être sacrifiée.

Par Laetitia Voreppe

Votre roman est inspiré de faits réels, vous vous êtes emparée de la découverte faite en 1999 de trois momies conservées naturellement par le froid pendant plus de 500 ans, sur le sommet du Llullaillaco en Argentine. La Doncella, La Nina del Rayo et El Nino, une jeune fille et deux enfants qui ont été sacrifiés en offrande aux dieux par la civilisation inca. Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture pour vous autour de cette histoire ?
L’idée d’écrire ce roman est venue en deux temps. Le premier ça a été un choc, une sorte de vertige temporel que j’ai vécu face à la photo de ces trois momies retrouvées en 1999 par des archéologues. De nombreuses années après, le National Geographic a publié un article sur lequel je suis tombée, à la faveur de recherches réalisées sur les corps à partir de l’analyse ADN de cheveux. Cette analyse ADN permettait de cartographier le parcours des enfants et leur alimentation pendant les six mois qui avaient précédé leur mort. Ce qui permettait de mieux comprendre pourquoi et d’où ils étaient partis et ce qui leur était arrivé. On savait par exemple qu’ils avaient parcouru de très nombreux kilomètres grâce au tissu de leurs vêtements provenant d’une région beaucoup plus au nord du lieu du sacrifice. Moi je ne connaissais pas du tout l’histoire de ces enfants et j’ai fait connaissance ce jour-là avec La Doncella. Le vertige temporel que j’ai ressenti là, c’était la résurgence du passé quasi intact dans mon présent à moi. Elle arrivait comme venant de s’endormir la veille et le fait que son corps parle, que la science puisse raconter son histoire, ça m’a fascinée. Immédiatement un grand mystère a entouré le visage presque serein de cette jeune fille, et le contraste avec le sacrifice d’une cruauté absolue. Il y avait plein de contradictions, des éléments éminemment romanesques qui se sont déposés en moi. Mais je ne savais absolument pas que j’allais en faire un roman. Le deuxième temps, c’était il y a 2-3 ans. Véronique Girard des éditions de L’École des loisirs m’a contactée pour savoir si ça m’intéressait d’écrire pour la jeunesse. Dès le premier coup de fil, c’est assez curieux, La Doncella m’est apparue. C’est comme si elle ressurgissait de mon passé, ça devait faire 6-7 ans que je n’avais pas repensé à ces enfants sacrifiés. J’ai tout de suite dit que j’avais très envie d’écrire une histoire sur eux. Je crois que ça m’avait travaillé malgré moi pendant toutes ces années, parce que j’ai écrit assez rapidement le premier jet, en 3 mois, ce qui m’arrive très rarement. C’est là, pendant le coup de fil que j’ai imaginé qu’ils ne seraient pas 3 mais 4 à faire le trajet. Les détails sont venus au terme d’un vrai travail de recherche documentaire. Je m’attaquais à une matière que je trouvais un peu inflammable parce qu’il s’agissait d’enfants qui avaient existé et qui avaient été sacrifiés, donc je voulais être très précautionneuse sur ce que j’allais raconter et que la part de fiction soit honnête par rapport à la civilisation inca. C’était comme si j’allais intervenir sur les corps des momies, que j’allais à mon tour les explorer avec délicatesse.

Au début du livre Poma est choisie pour sa beauté, elle est enlevée comme d’autres enfants pour être sacrifiée en offrande vivante afin de stopper une épidémie qui ravage les populations. Mais elle incarne tout de suite la révolte, elle fait partie de ceux qui refusent, elle ne baisse pas les yeux quand les gardes lui parlent. Cette révolte, c’est parce qu’elle fait partie d’une lignée de gens insoumis ?
Alors Poma, c’est un peu une cousine des héroïnes de mes autres romans, c’est la figure de la petite sauvageonne rebelle. J’avais déjà exploré ce type de personnage dans Le sanctuaire avec Gemma (Les éditions du Sonneur, 2020) et dans L’autre moitié du monde avec Toya (Les éditions du Sonneur, 2022). Je n’avais pas épuisé mon désir d’exploration de cet archétype de la fille qui résiste, qui n’a pas froid aux yeux et qui garde toujours la tête haute. D’un point de vue politique, ça m’intéresse beaucoup, comment une jeune fille peut être incroyablement puissante. Comme je suis prof je suis amenée à côtoyer beaucoup d’ados. Parmi eux parfois, il y a une jeune fille comme ça. J’aime bien observer toute l’énergie qui se dégage, ça me touche beaucoup cette force des adolescentes, c’est presque un corps debout. Le corps a une force qui précède toute conscience politique de féminisme. Et ça, ça m’intéresse beaucoup. Il y a ça, en premier lieu. Et Poma, je la voulais comme ça parce qu’il y avait eu des aînés avant elle qui lui permettaient ce chemin là. Cette question de l’héritage m’intéresse, l’héritage des générations qui nous précèdent, de certaines figures dans nos lignées. Qu’est-ce qu’il ouvre ? Les parents de Poma qui avaient refusé de ployer, la grand-mère qui la somme de résister, ils lui traçaient tous en quelque sorte un destin. J’aime bien que les lignées, elles structurent mes lignes. C’est quelque chose que j’aime observer dans la vie, ce que les ancêtres ont déjà pu écrire de ce qu’on va être, de comment ça peut informer nos vies.

                                                                                           

Poma porte autour du cou un pendentif représentant un puma transmis par sa grand-mère Huapa, une sorte de talisman qui va l’accompagner et lui donner la force d’avancer dans sa trajectoire. Quel rôle joue pour vous cet objet presque magique ? Et pourquoi avoir choisi cet animal sauvage ?
C’est assez intuitif et spontané mais à chaque nouveau roman, à chaque fois qu’une nouvelle histoire se forge dans ma tête, j’ai besoin d’un animal totem. C’est un motif poétique qui m’aide à donner une couleur, une texture, un rythme aux personnages et à l’histoire. Je fais beaucoup de recherches sur la géographie, sur les reliefs, la faune et la flore des lieux que j’explore, et donc le puma est arrivé très vite. J’ai d’ailleurs appelé Poma en résonance avec le puma. Je suis allée chercher ce prénom parmi tous ceux que les historiens avaient pu exhumer de la civilisation inca. Ensuite, cette histoire de pendentif était évidente, elle faisait le lien entre la géographie du livre et le legs de la grand-mère. J’aime bien les objets qui parlent, enfin symboliquement. Comme il y a des animaux totems, il y a souvent des objets qui recueillent des récits. Et là, c’était en quelque sorte le récit de comment on peut être fort dans l’adversité. C’est aussi un don de valeurs, des valeurs de résistance et d’insoumission. Ce qui me viendrait à l’esprit si je devais décrire le pendentif et le Puma, c’est la lumière, et même l’éclat. C’est magique, il y a une dimension fantastique, très douce et très ténue dans le roman, et c’est le pendentif qui l’apporte.

Dans le roman vous alternez le passé et le présent en mettant en scène une équipe de scientifiques qui tente de s’approcher au plus près de ce qui s’est passé pour les enfants. Pour cela vous avez choisi le personnage d’Astrid, cette légiste Suédoise qui a des méthodes particulières pour découvrir la vérité. Elle leur parle, elle dit les écouter, elle a une démarche très sensible. Pourquoi avoir pris le parti de mettre en scène cette enquête aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut dire que la posture d’Astrid était un peu la vôtre au moment de l’écriture du livre ?
En fait, le lecteur est dans la position d’Astrid. Il est soumis à ce qu’elle découvre et ce qu’elle ne veut pas savoir. C’est elle qui retrace le destin de ces enfants, qui devient dépositaire de leur mémoire et de leur sort en quelque sorte. Pour ce personnage, c’est le réel qui a été pourvoyeur de fiction. En enquêtant sur les recherches faites autour des momies, je suis tombée sur un long documentaire qui mettait en scène une médecin légiste généticienne. Tout en réalisant des biopsies sur les corps, elle parlait avec les momies, elle les prévenait des gestes qu’elle allait accomplir, elle s’excusait par avance. Ce dialogue entre une vivante et un corps défunt m’a émue de manière incommensurable. Tout de suite, j’ai eu envie d’en faire un personnage. Au départ j’avais pensé écrire une épopée tragique autour des enfants et en découvrant cette personne, le personnage est venu se superposer. J’en ai fait une Suédoise parce que je voulais un décalage géographique. Je voulais qu’elle soit complètement éberluée et abasourdie par le changement géographique. Je me suis dit que c’était bien de jouer le contraste entre la tonalité assez dure et violente du parcours des enfants, et des temps plus légers avec ce personnage un peu hurluberlu d’Astrid. J’avais vraiment besoin de ça dans l’écriture, je me suis accrochée à Astrid comme à une bouée qui me permettait de respirer. Ça a été très éprouvant de décrire ce parcours, c’est la chronique d’une mort annoncée. Plus je les faisais approcher du volcan, plus je reculais, je ne voulais pas écrire ce qui allait se passer. Et ce qui terrifie Astrid c’est de découvrir que les enfants ont souffert en étant sacrifiés. Ici, j’ai vraiment été fidèle à ce que j’ai pu lire pendant mes recherches, les scientifiques craignaient de découvrir que les enfants aient pu être victimes de violence avant le sacrifice.

Vous avez choisi de décrire cette longue marche de 700 km vers le volcan, à travers le désert d’Atacama, un long chemin vers la mort puisqu’on sait les enfants condamnés. En quoi c’était important pour vous de ne pas omettre l’insoutenable, et de risquer de faire de votre livre un roman difficile ?
Je me pose ces questions sans vraiment m’y appesantir parce que ça a existé et que la littérature n’est pas là pour mentir. À mon sens, le monde dans lequel nous vivons est dur, il est beau aussi, grotesque, sublime, violent, et en même temps gracieux. Et je ne veux pas faire l’économie de ces contrastes. Je fais assez confiance à ma bienveillance envers les personnages pour rester dans une zone qui ne soit pas malsaine. Pour toujours garder une petite loupiotte allumée dans la nuit. Parce que pour écrire ces histoires-là, j’ai besoin de zones de lumière. Ça peut être le personnage de Poma qui résiste, ça peut être l’amour entre Poma et Yurak qui donne de la force, l’amour de la grand-mère pour sa petite fille aussi. Il y a l’humour aussi qui sauve. Et puis il y a Astrid qui aime ces personnages. Par son travail de légiste, elle honore leur mémoire et raconte ce qui leur est arrivé. Rendre honneur c’est aussi le travail de l’écrivain, sorte de double de la scientifique. Il n’y a rien de plus beau me semble-t-il que de rendre honneur a des destins qui ont pu être sacrifiés, de ne pas oublier. Parfois je réfute le fait que c’est un roman sombre. C’est un roman dur mais ça n’est pas un roman sombre. Au contraire. Il y a une phrase d’Umberto Eco que j’aime beaucoup et qui dit que la fonction des récits immodifiables (les récits tragiques dont on sait qu’ils vont mal finir mais qu’on lit quand même), est de nous donner une sévère leçon répressive, et de nous apprendre à mourir. Enfant, j’ai été très largement édifiée par ces récits, par les contes qui sont extrêmement durs mais qui sont pour moi vraiment fondateurs. Et je charge la littérature de ce devoir-là. Il me semble que quand on s’adresse à des jeunes, on ne doit pas fermer les yeux là-dessus. Je n’ai pas peur de la peur, on va dire, dans les récits en tous cas. Cette répétition de la littérature est une répétition générale en fait, pour la vie. Ce que je vois chez mes élèves ou chez mes enfants, c’est que quand on lit des récits comme cela, terribles, ça nous aide par la suite dans les épreuves qu’on peut rencontrer, dans les deuils, les chagrins, les ruptures. Et donc il est pas du tout question de lénifier les choses, le monde et le réel sont cruels mais il y a des antidotes à cette cruauté, et la littérature est là pour nous donner des pistes. L’amour, l’amitié, le courage, l’espoir, l’art… Poma elle, a cette intuition d’entrée de jeu, elle n’a pas d’abattement parce qu’elle est nourrie directement à ce feu intérieur. Les êtres qui sont nourris à ce feu intérieur, ce sont des êtres flamboyants, splendides, donc c’est extrêmement plaisant de raconter leur trajectoire.

Laurine Roux, Le Souffle du Puma (L’école des loisirs)
À retrouver Chez mon libraire.

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