L’essentiel de la pièce se déroule sur une journée de printemps : un adolescent discret reçoit une mauvaise note au collège, fait une halte par le terrain vague où il croise d’autres adolescents, et puis il tarde à rentrer à la maison où on l’attend. Cette journée pourrait paraître assez banale. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire cette histoire-là ?
Ce qui a vraiment fait démarrer l’écriture, c’est la peur de mon propre échec. Je venais d’envoyer à mon éditeur deux pièces de théâtre qui avaient été tour à tour retoquées. Je me suis retrouvée dans une situation de défaite et j’ai été renvoyée à une espèce d’impuissance et de souffrance très enfantine, très ancienne. Je travaille beaucoup avec des collégiens et des lycéens et je vois à quel point ça peut peser cette peur de l’échec, et comment le jugement arrive très vite derrière, sans appel. Les premières lignes du livre sont sorties comme ça, autour du personnage de Jo, impuissant face à sa copie.
La réaction de Jo face à ce zéro est très forte. Pour quelle raison avez-vous choisi une rédaction et pas un devoir de maths ?
Ce devoir de français, c’était un sujet libre sur le printemps. Et c’est quand on lui demande de s’exprimer librement qu’il sèche totalement. Il est incapable de mettre des mots sur quoi que ce soit de son expérience. Ce qui lui est renvoyé c’est cette note, et c’est comme si d’un coup, c’était quelque chose qui était gravé dans le marbre. Ce rouge sur la copie, c’est je crois un peu comme une égratignure, comme une blessure. Je pense qu’on a tous souffert à un moment ou un autre de ça, ce sont des blessures dont on ne mesure pas les effets. Ce qui est cruel, c’est qu’il y a à mon avis beaucoup de jeunes qui se bâillonnent eux-mêmes, qui s’empêchent de dire des choses parce que à un moment donné, on leur a dit non, ça n’est pas bien, ou c’est mal.
Un des éléments qui fait basculer cette journée, c’est l’incident dans le terrain vague avec Alex et Andy. En quoi c’était important pour vous d’évoquer la question du regard de l’autre, du jugement et de la violence chez les adolescents ?
Dans les ateliers théâtre que je mène, je passe mon temps à dire qu’il va falloir se tromper pour apprendre, qu’il va falloir faire des fautes dans la langue pour avancer, et donc pour pouvoir faire ces fautes, il faut que personne ne juge personne. Poser tout simplement cela change l’ambiance du groupe. On voit bien combien le regard des autres pèse et combien les élèves entre eux se reprennent en permanence.
Dans cette scène, on a Jo seul avec sa souffrance qui n’a rien demandé. Puis Alex qui amène Andy à poser un regard sur Jo et l’entraîne directement sur la mauvaise note. Pour exister. Parce que dans la vie, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ratent. Les non-victimes et les victimes, et il ne faut pas être du côté des victimes. Andy lui est complètement sorti du système scolaire, et du coup se venge à travers cette confrontation avec Jo. Il se venge de la violence qu’il a lui-même dû recevoir et qui est devenue sa seule façon de s’adresser au monde. Finalement le groupe choisit de faire basculer Jo dans une souffrance encore plus grande, validant encore plus le tragique de son histoire.
Rapidement dans la journée, la solidarité se met très vite en place, avec Milo l’ami fidèle de Jo, et Alex qui finit par se sentir responsable. Est-ce que c’était important pour vous de permettre cette ouverture ?
En général, je trouve que ce qui est intéressant quand on va au théâtre, c’est d’en sortir modifié. Par la situation, par l’histoire, par l’autre. Les histoires fonctionnent dans cette forme de dramaturgie, il faut qu’il se passe des choses qui vont permettre une progression. Ce qui me semblait intéressant, c’était de dire que Jo, un ado sur la sellette parce qu’on l’a mal jugé, représente quelque chose qui dysfonctionne. Et cette situation va avoir une répercussion sur chaque personne qu’il va croiser. L’idée aussi, c’est que le parcours dans l’histoire transforme les personnages.
Vous écrivez des pièces de théâtre pour la jeunesse mais vous êtes aussi metteuse en scène et directrice de compagnie. Quand on écrit une pièce, pense-t-on à la mise en scène ?
Oui, on y pense. On ne pense pas forcément à une mise en scène précise mais on sait que l’espace va être très important. Ça veut dire qu’à chaque fois qu’on fait bouger les personnages d’un endroit à un autre, il faut qu’il soit investi dramaturgiquement, qu’il puisse représenter quelque chose. Le terrain vague, la cuisine de Glaïeule, le bord de l’eau… Moi j’y pense, et puis j’oublie. Il faut suffisamment nommer les lieux pour donner du matériau à l’équipe suivante qui va se saisir de ce texte, mais ça reste une proposition. Je ne mets que le minimum vital de didascalie par exemple, parce que je pense qu’il faut laisser la place à l’imaginaire du spectateur ou à l’équipe de création.
Que voudriez-vous dire aux jeunes lecteurs pour leur donner envie de lire du théâtre contemporain ?
Je leur conseille de se plonger dedans car c’est un grand espace de liberté, bien plus qu’on ne le pense. Et de ne pas hésiter à lire à voix haute parce que le théâtre est fait pour être mis en bouche. En ateliers, je propose souvent de lire à voix haute, de lire et de relire et de le faire à plusieurs voix parce que c’est très amusant. Ça permet de s’approprier mieux le texte et d’en rendre la lecture plus accessible, plus vivante et plus proche.
Marion Bonneau, Un printemps pour Jo (L’Ecole des loisirs)
À retrouver Chez mon libraire.