L’autrice
Née en Algérie en 1986, Kaouther Adimi est l’autrice de cinq romans parus chez Barzakh puis aux éditions du Seuil depuis L’envers des autres, en 2011, et notamment de deux livres remarquables qui abordent l’histoire algérienne à travers des lieux et des personnages réels qu’elle revisite par le biais de l’écriture romanesque. Nos richesses, publié en 2017, évoquait la figure d’Edmond Charlot, libraire et éditeur, fondateur de la librairie « Les vraies richesses » à Alger, en 1936. Passionné de littérature, il fut notamment l’éditeur d’auteurs majeurs comme Albert Camus, Max-Pol Fouchet ou Vercors… Les petits de Décembre, publié en 2019, nous plongeait dans une époque beaucoup plus récente, puisque l’intrigue, centrée autour de la cité du Onze-Décembre en banlieue d’Alger, se déroulait en 2016, mettant en scène la lutte d’une bande de gamins tentant de résister à un projet immobilier imposé par les généraux. Deux exemples parfaits de la façon dont le roman peut dessiner, par le prisme de vies singulières, le tableau plus vaste d’un pays, en l’occurrence l’Algérie, des années 30 à aujourd’hui.
Le livre
Le nouveau roman de Kaouther Adimi s’inscrit dans la même logique, puisque cette fresque familiale et historique explore de nouveau les épisodes cruciaux de l’Algérie au fil du XXème siècle, et notamment la vie dans les années 20, la guerre de libération des années 60, la décennie noire qui ensanglanta le pays dans les années 90. Ce sont cette fois trois personnages – Tarek, Leïla et Saïd – qui voient leurs destins individuels percutés par la folie du siècle, montrant une fois encore comment la grande histoire détermine les trajectoires de nos vies minuscules. Inscrit dans la réalité de sa propre famille – le roman est dédié à ses grands -parents – Au vent mauvais ouvre également une réflexion sur les pouvoirs de la littérature en explorant les effets délétères de la publication d’un roman, celui de SaÏd, lorsque des personnages réels sont mis en scène sans le filtre de la fiction. Une façon incroyablement puissante d’interroger le rôle des écrivains, et le sien en particulier, puisque c’est finalement son propre travail que Kaouther Adimi remet en question avec ce livre qui comporte par ailleurs de nombreux moments de grâce, et notamment la période italienne de Tarek, en lien avec le tournage du film de Pontecorvo, La Bataille d’Alger.
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La constellation
Le roman de Kaouther Adimi pourrait s’inscrire dans une constellation incluant des auteurs aussi divers que Frantz Fanon, Serge Doubrovsky et Assia Djebar. Immense écrivaine algérienne, cette dernière est notamment l’autrice d’un roman aux parfums de scandale, La Soif, publié à la fin des années 50, dans lequel elle mettait en scène le destin d’une jeune femme prénommée Nadia, habitée par la soif de vivre sa vie librement dans un contexte historique pourtant très chargé. S’il est beaucoup question du film de Pontecorvo, La Bataille d’Alger, Kaouther Adimi évoque aussi un livre majeur de cette période, Les damnés de la terre, publié par Frantz Fanon (qui fut psychiatre à Blida) en 1961, préfacé par Jean-Paul Sartre et qui reste à ce jour comme la référence pour comprendre la violence de la colonisation et l’utopie d’une révolution des peuples opprimés. Nous pouvons enfin faire référence à l’écrivain et critique littéraire Serge Doubrovsky, le premier à avoir utilisé le terme d’autofiction pour caractériser son roman, Fils, en envisageant le principe d’une autobiographie romancée. Une réflexion qui résonne très fort avec les problématiques abordées par l’autrice au sujet du roman de Saïd qui produit tant de ravages auprès de Leila et Tarek, personnes devenues personnages, et de la confusion qui peut naître entre la vérité et le mensonge, le réel et l’invention, auprès de ceux dont l’existence est transposée dans un livre.
– Assia Djebar, La Soif, Éd. Julliard, 1957 – rééd. Barzakh, 2017.
– Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Éd. Maspero , 1961 – rééd. La Découverte Poche, 2004.
– Serge Doubrovsky, Fils, Éd. Galilée, 1977 – rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2011.