L’auteur
Anthony Passeron enseigne les lettres et l’histoire-géographie dans un lycée professionnel. Il est né à Nice en 1983, une région qui est au cœur de son premier roman, paru aux éditions Globe, dans lequel il revient sur l’histoire familiale et la figure de son oncle Désiré, mort prématurément du sida et dont le destin tragique a longtemps été occulté. Une véritable révélation littéraire.
Le livre
C’est lors d’une conversation avec son père que le narrateur / auteur ouvre la boîte de pandore sur l’histoire secrète de son oncle Désiré, disparu en 1987 dans un silence assourdissant. Il va petit à petit reconstituer l’histoire de cet homme, le fils « préféré » de bouchers de l’arrière pays niçois – ayant connu une ascension sociale fulgurante durant les trente glorieuses – qui verra sa jeunesse percutée par l’addiction à l’héroïne, la séropositivité et le déni familial lié au caractère « honteux » de cette maladie. Un jeune homme qui comme beaucoup d’autres, au début des années 80, comble son ennui et sa soif d’aventure dans la consommation compulsive d’une drogue dévastatrice. Un jeune homme qui se retrouve au cœur d’une tragédie familiale, mais qui est également le symbole d’un naufrage sociétal. Car si le fil rouge du livre est avant tout intime, celui-ci propose aussi une radiographie générale de la prise en charge défaillante de cette maladie : les bisbilles entre chercheurs français et américains, les hésitations sur la nature du mal, les espoirs de traitements et les désillusions qui s’ensuivent, la marginalisation des malades pour des raisons éthiques, l’incurie des politiques face à ce fléau… En oscillant entre l’individuel et le collectif, l’affectif et le scientifique, il donne à son oncle un tombeau bouleversant, tout en pointant les remous d’une époque dont les enjeux sociétaux sont encore à l’œuvre au début des années 2020. Un roman ultra sensible et particulièrement nécessaire.
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La constellation
Le roman d’Anthony Passeron pourrait se situer entre A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, d’Hervé Guibert, Retour à Reims de Didier Eribon et Sang damné d’Alexandre Bergamini. L’ombre d’Hervé Guibert plane évidemment sur ce livre, et notamment celle du premier volume de sa trilogie autobiographique, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, dans lequel il donnait un témoignage littéraire de grande intensité sur la maladie, la mort des proches, l’amitié et la trahison… L’autre référence pourrait être le Retour à Reims, de Didier Eribon, dans lequel le sociologue mettait en scène la rupture avec son milieu d’origine, la mise au ban familiale pour cause d’homosexualité, et le mécanisme de honte sociale mutuelle à l’œuvre dans ces familles déchirées. Évoquons enfin le livre important d’Alexandre Bergamini, Sang damné, qui résonne très puissamment avec Les enfants endormis, que ce soit à travers l’enquête familiale, la chronique d’une maladie ou la dimension sociale, politique et humaine de cette épidémie. Nous pourrions d’ailleurs rajouter le lien à La Peste, d’Albert Camus, qui ouvre le texte d’Anthony Passeron avec cette phrase citée en exergue : « C’est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre ».
– Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, 1990 – rééd. Folio, 2019.
– Didier Eribon, Retour à Reims, Fayard 2009 – rééd. Flammarion, 2018.
– Alexandre Bergamini, Sang damné, Seuil 2011.
– Albert Camus, La Peste, Gallimard, 1947 – rééd. Folio, 1972.