L’autrice
Peu d’éléments sont connus dans le parcours de Julie Héraclès puisque Vous ne connaissez rien de moi est son premier roman et qu’elle est donc une nouvelle venue sur la scène littéraire. Une précision biographique importante tout de même : l’autrice est née et a passé une grande partie de sa vie à Chartres, où elle a été confrontée dès sa jeunesse à la photographie de Robert Capa intitulée « La Tondue de Chartres », qui capte un moment d’histoire à travers cette scène datée de la libération, en août 1944, où une femme tondue – en l’occurrence Simone Touseau, collaborationniste notoire et pro nazie convaincue -, traverse les rues de la ville au milieu d’une foule hostile. Une photographie qui a longtemps hanté Julie Héraclès avant qu’elle ne se décide à écrire une fiction librement inspirée du parcours de cette femme en en faisant un personnage romanesque nommée Simone Grivise, qui y raconte son histoire à la première personne, comme un monologue intérieur.
Le livre
Julie Héraclès rembobine le film de cette vie en essayant d’imaginer les enjeux sociaux, individuels, politiques ou familiaux qui ont pu mener une jeune femme comme elle à devenir une complice de l’idéologie nazie, une collaborationniste convaincue, adhérente du parti populaire de Jacques Doriot et propagandiste zélée. L’autrice y parvient en se détachant du fait historique en tant que tel et en évitant tout regard omniscient pour aller vers une dimension plus intime – même si elle n’occulte en aucun cas le caractère condamnable de ses actes. Ainsi son enfance modeste et sa soif de revanche sociale, son histoire d’amour avec un officier allemand, ses relations personnelles, sa déviance intellectuelle et son absence de conscience morale sont autant d’éléments qui dessinent le portrait d’une femme qui, même si elle agit comme un monstre, n’en est pas moins un être humain. Avec, en filigrane, les grandes questions du passé qui pèsent sur le présent – Qu’aurions-nous fait / Que faisons-nous en temps de guerre ? – et l’idée que rien n’est jamais noir ou blanc, et que le roman est peut-être le lieu idéal pour explorer les zones grises.
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La constellation
Roman intrigant qui pose de nombreuses questions sur le rôle, le pouvoir et la responsabilité de la littérature dans son rapport à l’histoire et qui a notamment déclenché de vifs débats sur la légitimité de son auteure à s’emparer de ce sujet sensible et complexe par le biais de la fiction, Vous ne connaissez rien de moi fait autant écho à des essais qu’à des romans. Nous pouvons bien sûr citer Les Âmes grises, le roman de l’écrivain contemporain Philippe Claudel, une référence évoquée par l’autrice elle-même en exergue de son livre, avec cette phrase qui dit beaucoup de la façon dont elle a abordé le personnage de Simone : « Les salauds, les saints, j’en n’ai jamais vus. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… ». Autre résonance, du côté historique cette fois-ci, puisque le destin de Simone Touseau a bien sûr fait l’objet d’une étude scientifique sur laquelle Julie Héraclès a appuyé son travail : il s’agit de La Tondue, 1944-1947, signé de deux historiens, Philippe Frétigné et Gérard Leray.
– Philippe Claudel, Les Âmes grises, Stock, 2003, – rééd. Le Livre de Poche, 2006.
– Philippe Frétigné et Gérard Leray, La Tondue ; 1944-1947, Tallandier, 2020.
